Le goût de vivre

Voilà. Nous y étions à nouveau. Allongés sur ce fat boy, à se rappeler ce qui nous a unis, ce qui avait habité chacun d'entre nous avant de décider que ce serait sinon pour la vie, au moins pour un sacré bout de temps.
Et j'ai enfin dit ce qui a certainement fait que je ne pourrais plus m'en remettre à toi.

Je n'ai jamais porté le goût de la vie. Fracturée dès l'enfance entre une vie loin de ma famille, trimballée de cabinets en hopitaux, et n'ayant déjà pour seuls amis que des mots, que des maux. les meilleurs moments de ma vie d'adulte ont été des noyades dans le rhum. Des enfilades d'antidépresseurs.

Je n'avais pas développé de gout pour la vie. Et de ma première tentative d'en finir à l'âge de 8 ans, ma vie avait été ponctuée de mauvais et de pires moments. Et dans les rares accalmies je n'avais eu soif que d'en finir sur une bonne note.

Lorsqu'on s'est rencontrés, au delà de l'ébullition des corps, de l'excitation des sens, mon coeur s'était enflammé de ta force de vivre, de tes espoirs en demain malgré ton air de ne pas y toucher. Et dans tes cotés sombres, tes sourires percaient, et dans mon monde de couleurs, ce qui était mort en moi avait envie de voir le jour à nouveau.

Ne plus faire semblant, ne pas attendre la fin, tu as toujours réveillé mes sourires avant qu'ils se fanent, tu as fait battre un coeur qui avait renoncé. Et de ma main dans la tienne, des cendres de ce coeur s'étaient changé en un petit feu doux.

Mais un matin, tu n'as plus eu la force. Tu m'as laché la main, puis tu t'es perdu en chemin. Ton nouveau départ dans la vraie vie pendant mon addiction à WoW. Ton alcoolisme et ma grossesse. Ton départ pour Lyon et ma maternité. Ta dépression et ma depression. Il y a longtemps que nous vivons nos vies en parallèles et mon mal de vivre était revenu et je n'avais pas de solution. Pas plus qu'avant.

Juste la certitude que peu importe qui de toi ou d un autre pouvait à nouveau me faire pétiller, personne ne me guérira jamais de ce gout de vivre inexistant. Et pire, cette culpabilité de ne pas l'avoir. Après tout, comme on me l'a fait comprendre après chacune de mes tentatives, je n'avais pas le droit. Pas de raisons valables aux yeux du monde, je pouvais porter mon désarroi à bout de bras sans jamais le déposer. Au mieux m'asseoir dessus le temps d'une pause, avant de repartir avec mon fardeau.

Et à mon habitude, je saborderai tout ce qui fait de moi quelqu'un de vivant, mes relations interpersonnelles et l'intégralité de ce que je pense avoir construit. Prétendant me reconstruire mais il n'en est rien. Je ne peux plus vivre avec toi, plus t'aimer, parce que je te mentirai au quotidien, dans chacun de mes sourires. Au fond, je n'ai même plus de larmes pour nous, pour moi, pour toi. Je n'ai même pas ça.

Pour souffrir, il faut aimer. Et pour aimer, il faut vivre.

J'ai perdu ça.